“L’idée de la crise migratoire est devenue une banalité or toute la recherche dit que ça n’a jamais existé.”

C’est lors de la table ronde sur la “Fabrique de l’opinion”, pendant le festival d’ e-graine “Identités Croisées” à l’Université Jean Moulin Lyon 3 que Tania Racho, coordinatrice de Désinfox-Migrations faisait cette remarque. Combien de fois faudra t’il encore répéter les faits objectifs sur les migrations pour arriver à balayer le flot de contre-vérités sur la question ? Desinfox-migrations s’y emploie justement en s’appuyant sur un groupe de chercheurs, experts et journalistes. Des éléments clairs et précis sont à disposition en ligne, à nous tous de nous en saisir !

Curieusement, ces résultats de recherches de nos universitaires – pourtant financés par l’Etat – ne sont pas intégrés par certains responsables politiques. Le sujet de la migration est un tel levier électoral que la vérité importe peu du moment que l’activation des peurs parvient à influencer le vote. Et comme bon nombre de journalistes n’apportent pas de contradiction, le discours de haine gagne du terrain. À quand une intervention d’e-graine à l’Assemblée Nationale et dans les rédactions !

Invitée avec Tania Racho, Julia Montfort, auteure des Carnets de Solidarités (série vidéo et livre où elle part du récit de l’accueil d’un jeune tchadien chez elle pour aborder la question de l’hospitalité) et nouvellement rédactrice en chef de Guiti News rappelle que pour les personnes réfugiées “c’est extrêmement violent de subir ce discours médiatique sur les migrations.” Il faut porter un autre récit. À Guiti News, la rédaction est composée de binômes entre journalistes réfugiés et locaux. Cette formule offre un croisement de regards qui permet à la fois de prendre de la hauteur et d’incarner la réalité de l’exil. Résultat : un vivier de plus de 500 articles et ressources à consulter et partager !

Guiti News agit également auprès des jeunes pour leur donner des clefs de compréhension de l’univers médiatique et muscler leur curiosité et leur esprit critique à l’égard de l’information. L’info éclair et spectaculaire des réseaux sociaux fait des ravages sur l’opinion des jeunes (et des moins jeunes) ! Elle nous détourne des analyses qui prennent le recul nécessaire pour aborder la complexité du monde…

C’est cette approche, cette distance que propose également e-graine dans ses rendez-vous. Comme avec Erwan RUTY, auteur de “La longue marche des banlieues” (ce soulèvement historique qui a mobilisé des foules de Marseille à l’Elysée, en 1983) présent pour présenter son documentaire aux côtés de marcheurs de la première heure dont le père Christian Delorme et Djamel Atallah. Ils racontaient que tout est parti d’un groupe de personnes de sang et religions mêlées, installées dans l’altérité. Inspirés par le personnage de Gandhi et ses initiatives non-violentes, la marche a été élevée au rang de Mythe. Mais certains rappelaient dans la salle qu’on n’arrive pas à le déconstruire et à le dépasser pour aller plus loin. Du fait peut-être de ce caractère pacifique qui plaît à une partie de l’opinion mais occulte d’autres actions parfois plus musclées et pourtant tout aussi légitimes ?

Autre sujet débattu dans un amphi de l’Université : “Genre et migration”.Les échanges sont venus déconstruire plusieurs idées reçues sur la place des femmes. Car, contrairement aux images qui montrent majoritairement des hommes, en masse, sur un bateau, les femmes sont tout autant présentes, plus ou moins à toutes les époques.

Julie Leblanc, l’une des intervenantes, qui a fait une thèse sur “les paradoxes de l’invisibilité” des femmes âgées issues de l’immigration maghrébine, s’est intéressée à leurs parcours. Affublées du cliché de la femme soumise, des études féministes ont mis en avant des profils de femmes entrepreneuses pour prendre le contre-pied. Mais cela a occulté toutes celles qui sont arrivées après leur mariage, venant pour la plupart de milieux urbains et qui ont élevé leurs enfants en France. Des femmes qui témoignent souvent d’une forte appartenance à leur quartier. Des habitantes françaises qui ne se reconnaissent pas dans l’étiquette “d’immigrée”.

Le festival Identités Croisées offrait enfin la possibilité de « vivre » deux expositions immersives issues du programme Un Univers Citoyen d’e-graine:

La première, “Nous d’ailleurs” composée de panneaux ludiques et pédagogiques invitait à s’interroger sur la question des stéréotypes, préjugés, discriminations et sur les ordres de grandeurs du phénomène migratoire trop souvent déformé dans l’actualité. Les (super) médiateurs.trices nous rappellent par exemple que l’essentiel des déplacements des personnes africaines se fait au sein même du continent, dans les pays voisins.

La seconde, “Lisa” nous fait vivre le parcours d’une jeune tchadienne à la façon des histoires dont vous êtes le héros. L’occasion de comprendre l’injustice de certaines situations ainsi que les particularités liées au genre.

Assurément, toutes les personnes qui ont été sensibilisées par les expos immersives, les projections ou les échanges repartent avec des éléments pour porter haut et fort notre humanité et nos valeurs de respect, de confiance et d’hospitalité !

Nicolas Oppenot